Je vais vous livrer un secret. J'ai beau être unique, moi Pierrot, Le Pierrot de la Lune, je n'aime pas, mais alors pas du tout, être seul. J'aurais voulu des sœurs et des frères, un frère surtout.
Alors, je me suis fait un jumeau. Pas trop pareil à moi, mais un jumeau quand même, à taquiner, à plaisanter, à admirer et critiquer. Bref comme le font tous les frères et sœurs. Bien sûr, pour brouiller les cartes et rester l'unique Pierrot, ce jumeau je ne l'ai pas fait aussi beau que moi, ni aussi blanc. Au contraire, je l'ai voulu noiraud et moustachu. Et pour achever de donner le change, je l'ai affublé de lunettes de travail, aux branches tordues et rafistolées à l'aide de fil de fer. Des bésicles en quelque sorte, le plus souvent remontées sur son front que devant ses yeux. Après quoi, je l'ai vêtu d'une chemise à carreaux bleus, d'un jean. Puis, je lui ai peint ce sourire complice un peu narquois. Mais dans sa tête, c'est tout moi : jugez-en plutôt.
Distrait, oh ça oui ! Dans la lune autant que moi. Prenant toujours son temps, à l'affût d'une bonne histoire qui fait démarrer le rêve, des chansons plein la tête. Je lui ai donné des mains, non pas de simples gants comme en portent les musipouvantails, des mains d'environ cinq doigts chacune. Des mains capables de gratter et de pincer les cordes de sa guitare, d'appuyer sur les pistons de sa trompette, de tenir une bêche ou un râteau, de se servir d'un tournevis, d'une scie, et même... sacré nom d'un petit Pierrot ! de se taper sur les doigts avec un marteau. Oui, c'est bien lui ! Serge Bonnafont, vous l'avez reconnu.